L'été 2019 commença bien.
De retour d'une longue balade (l'une de mes préférées dans ce coin, une quinzaine de km AR) avec mes deux enfants (12 et 14 ans aujourd'hui à l'heure où j'écris ces lignes), balade sur un terrain prometteur mais où nous n'avons pas pu observer grand-chose, nous quittons la crête dans les bois et abordons une grande clairière entrecoupée de buissons et petits arbres par laquelle nous étions passés à l'aller. Les enfants marchent derrière moi à une vingtaine de mètres et, malgré mes demandes, rient et font un peu de bruit. Le jour se termine et la lumière baisse sensiblement.
Soudain, sur ma droite, derrière un massif de buisson, j'entends le bruit d'animaux s'écartant. Je me retourne et m'adresse aux enfants, leur faisant signe de se taire et de regarder, d'autant plus que de là où ils étaient en arrière, ils avaient bonne vue sur le terrain dégagé.
Ma fille s'exclame: "Oh, des chevreuils!". Se corrige: "Ah, non, des sangliers!". Se ravise encore, toute joyeuse: "Ah, non, ce sont des loups!!!" Entretemps, je me suis retourné et ai saisi mon appareil et je tire une rafale en direction des ombres qui reculent, s'arrêtent un instant, puis disparaissent dans les taillis. Je n'ai bien entendu pas eu la présence d'esprit de modifier convenablement la vitesse et les photos sont, hum, fort sombres et peu exploitables de quelque manière que ce soit. Par après, en parcourant les 20-30 mètres qui nous séparaient des loups, nous apercevons une masse qui, immédiatement, me remplit de joie! Ils ont chassé un cerf et la carcasse est à peine entamée! Je me réjouis car la zone est assez idéalement placée pour affûter aisément et les lumières matinales promettent d'y être belles. C'était une situation dont j'avais longtemps rêvé dans cette vaste clairière.
NB: La victime est un jeune et puissant cerf. Il s'est défendu comme en témoigne le sang laissé sur un de ses andouillers. D'aucuns s'étonneront que les loups chassent ainsi des cerfs adultes dans la force de l'âge. Pourtant, en août, la plupart de leurs victimes que j'ai retrouvées étaient justement des mâles, souvent avec des bois imposants. Je crois que l'explication est la suivante: les biches, à ce moment, sont accompagnées de leurs jeunes, très prudentes, et sans doute dangereuses et agressives pour protéger leur progéniture. À l'inverse, les mâles viennent de se débarrasser de leur velours et sont donc plus faciles à trouver. Et surtout, ils sont en pleine poussée d'hormones pour préparer le brame et sont donc beaucoup moins prudents que de coutume mais comme leur transformation hormonale n'est pas encore pleinement achevée, ils n'ont pas encore le degré d'agressivité qu'ils trouveront en plein brame. Il est donc probable qu'ils sont sûrs d'eux, et ne fuient pas immédiatement, mais pas assez sûrs pour ne pas finir par tenter la fuite, ce qui déclenche le réflexe d'attaque chez les loups. Tous ces éléments font, paradoxalement, d'eux les individus les plus "faibles" à ce moment de l'année.
Malheureusement, les lieux, bien que isolés, sont proches d'une route un peu fréquentée (quoique je ne sois pas certain que cet adjectif convienne) et mes affûts durant les trois jours suivants au côté de la carcasse qui commence à sentir épouvantablement ne donneront rien, sinon quelques frayeurs à l'écoute des bruits émis par les ours qui ne prennent eux même pas la peine de s'éloigner beaucoup de l'aubaine et gîtent donc dans les taillis avoisinants la journée pour se nourrir la nuit (vu leur présence, je n'ai pas osé dormir sur place et ai préféré revenir une heure avant l'aube le lendemain, le surlendemain, et le jour d'après).
Avec l'aide d'un ami, nous plaçons le deuxième jour un piège photo et nous pourrons admirer les ours et un loup qui viendront prendre leur dû (et l'ours, comme à son habitude déplacera la carcasse plus loin). Mais pendant la nuit.
Bref, lorsque nous repartons, nous sommes à la fois heureux de la rencontre avec la meute et un peu déçus que leurs passages aient eu lieu sans que nous ne puissions les voir.
1. La meute dans la pénombre.
2. Le cerf, un beau jeune mâle, le premier matin.