[FILS ÉPINGLÉS] 20 outils de composition

[Laure-Anh]

Arh ! Pythagore, Thales, Euclide sortez de ce corps 

 

[Laure-Anh]

Lionel a écrit en ouverture, je cite :

...Voila maintenant 1an que je me suis sérieusement mis à la photographie de paysage.
Cette pratique photo est plus exigeante en terme de composition.

Nous photographions telle et telle chose données parce qu'elles nous interpellent, nous parlent et nous plaisent : nous nous évertuons à mettre en images les choses auxquelles nous sommes sensibles et, ce faisant, la somme de toutes ces choses accumulées au fil des déclenchements dévoilent en retour en partie la personne que nous sommes. Perso, la pratique photo n'exige rien. La composition selon mon expérience est au rendez-vous quand nous aimons ce que nous photographions, quand nous nous consacrons avec passion à saisir ce que nous aimons. Il suffit d'être nous-mêmes.

Ceci étant dit, les anciens ont leurs trucs pour les aider à mettre le doigt sur les raisons qui sont à l'origine de ce qu'ils ressentent et aiment.

Arh ! Pythagore, Thales, Euclide sortez de ce corps 

Le monde vivant autour d'eux étant le résultat d'actions-réactions et d'interactions multiples, il y a tout un faisceau de raisons entremêlées. Aussi ils se sont constitué au propre et au figuré une grille de lecture qui invite à l'observation soutenue de leur environnement, au moyen de carrés de base lesquels carrés de base sont dérivés sous forme de tels ou tels rectangles remarquables en fonction d'une action-réaction réelle ou supposée. Une action produisant en retour une réaction en sens opposé, les anciens avaient l'oeil exercé pour toute ligne-guide caractéristique d'action et/ou sa ligne-guide réciproque.

Prenons l'exemple d'une pomme : représentée isolément, c'est un fruit statique. Si l'on matérialise les plateaux d'une balance, la pomme n'est pas/plus seule au monde : la gravité s'invite au tableau. Si l'on se réfère aux anciens, l'ajout de ligne-guide horizontale solide et consistante met en évidence une force invisible qui tend - on le sent, on le sait - à animer le fruit de haut en bas selon une ligne-guide verticale, cela ajoute une autre dimension au dessin.

[Laure-Anh]

Carré de base, rectangles remarquables, action-réaction,...

Les bandes dessinées reprennent le même concept : elles utilisent des cases carrées, rectangulaires pour raconter et véhiculer une histoire.

La photographie au format 3:2 de Lionel contient en son sein de multiples carrés et rectangles qui relatent un ensemble d'évènements passés, présents et à venir...
Pourquoi Lionel s'est-il arrêté là, pourquoi a-t-il éprouvé un intérêt pour cet arbre, pourquoi cet arbre a ce port symétrique très particulier,
pourquoi Lionel s'est positionné de cette façon par rapport à la scène, pourquoi a-t-il cadré l'arbuste au centre, pourquoi l'a-t-il collé au plus près du bord inférieur du cadre ?
Le sol parfaitement plat et fertile orienté est-ouest, un terrain découvert, le temps clément, l'absence de vent, le soleil bienfaiteur, l'arbuste au port symétrique,
la lumière en contre qui aide à mettre en valeur le port remarquable de l'arbre, l'espace très généreux laissé libre en haut du cadre pour lui souhaiter un avenir heureux,
la prise de vue en contre-jour afin de casser les contrastes et produire une atmosphère à la fois chaude, douce et monochrome qui correspond à la fragilité du moment,
le fait que Lionel parcourt la nature avec une sensibilité toute particulière : tout est lié...

[Laure-Anh]

Prenons l'exemple d'une autre graine d'arbre qui vit un tout autre scénario, à savoir celui-ci :

[Laure-Anh]

Une photo portant sur la vie et le devenir de cette graine d'arbre serait en pratique une image ressemblant à peu près à ceci :
la présence du soleil positionné à l'est, c'est-à-dire à la droite du cadre, est un élément de lecture important...
(Le sujet principal étant l'arbre du fait de sa silhouette remarquable, avec en bonus le paysage côtier orienté vers le soleil levant pour écrin)

[Laure-Anh]

Compte-tenu de la vie de cet arbre et de sa localisation géographique battue par le vent qui lui ont valu son port particulier, il est intéressant de constater
comment deux photographes - Olivier Seydoux d'une part, et Lionel d'autre part - ont à plusieurs années d'intervalle analysé la situation et choisi de la photographier.

[gjacobs]

Un tel arbre dans un tel décor, je l'aurais aussi photographié. Probablement avec moins de talent. Mais maintenant je sais que c'est parce que je n'ai pas en tête cette histoire de graine carrée au moment de photographier... Donc même si je ne sais toujours pas faire de bonnes images après ça, j'en connais au moins la raison désormais!

Gauthier

[Laure-Anh]

Mon sentiment est que c'est en nous,
que c'est notre affinité pour un sujet donné qui est la clef,...

 1 - L'arbre est remarquable : en quelque endroit qu'il ait poussé, je l'aurais photographié.
 2 - Mon affinité lui est entièrement acquise aussi je vais me consacrer à le mettre en valeur : c'est lui, mon sujet principal.
 3 - Le port de l'arbre s'accorde avec un cadrage horizontal.
 4 - La séparation du tronc en fourche à trois branches appelle un point de vue qui permette de distinguer nettement lesdites 3 branches.
 5 - Je ne connais pas sa taille mais je vais rechercher un cadrage serré qui le fasse paraître aussi grand que possible,
 6 - ...tout en lui laissant l'espace nécessaire et suffisant pour respirer. (= negative space)
 7 - Pour souligner que l'arbre est situé sur un point haut au sommet d'une falaise, je vais surélever mon point de vue pour que l'horizon soit transféré du milieu du cadre vers le bas.
   (Le plan du capteur est vertical tandis que l'axe optique est horizontal : c'est bel et bien le point de vue qui est surélevé. A ne pas confondre avec une prise de vue en plongée.
       La prise de vue en plongée, c'est quand on incline l'axe optique vers le bas hors de l'axe horizontal : l'effet produit est différent de l'effet recherché précédemment...)
 8 - Le résultat portant sur la mise en valeur de l'arbre constitue mon calque principal.
 9 - Je connecte ensuite l'arbre avec le calque N°2 constitué par le sol et le paysage environnant.  (= travail préparatoire)
10 - J'attends le soleil levant qui constitue le calque N° 3. (= recherche de l'instant décisif)


Il en va de même en portrait : veiller à ce que le modèle soit à son avantage, selon son meilleur profil,
sans et avec le milieu environnant, sans et avec éclairage,...à tout moment à son avantage.

[Laure-Anh]

Dans le cas d'Olivier Seydoux, il nous est donné de voir un cadrage avec arbre tronqué :
l'arbre dans son entier n'est pas impératif, l'essentiel est ailleurs,...
son affinité pour la belle lumière et le paysage conduit de juste à une composition qui lui est personnelle...

[Laure-Anh]

Dans le cas de Lionel, la photo a été postée pour illustrer le fait qu'il ne faut pas couper les éléments existants avec les bords du cadre :
mais pour autant l'arbre n'était pas le sujet principal aux yeux de Lionel.
Lionel était davantage focalisé sur le paysage et la belle lumière, ce qui a de juste influencé le choix de son cadrage.
 
Lionel n'a pas tronqué l'arbre toutefois l'arbre n'étant pas son sujet principal, l'attention de Lionel pour l'arbre a été partielle,
il n'a pas supervisé avec minutie le (bon) placement de l'arbre dans le champ cadré ; l'espace négatif autour de l'arbre n'est pas optimal :
ni à droite du cadre, ni en haut, et surtout pas en bas entre les dernières branches basses et les sommets au lointain.
Le fait que l'espace négatif soit minime entre branches et sommets peut passer pour un détail parfaitement insignifiant mais tel n'est pas le cas :
la proximité des deux éléments crée une illusion optique dérangeante, elle fait en effet croire et voir que l'arbre penche fortement à droite et en bas, comme aimanté par les montagnes.
Olivier Seydoux avait quant à lui été sensible et attentif à ce détail. Olivier a ménagé un espace négatif suffisant pour suggérer que l'arbre pousse et s'élève au dessus du sol.
(Juré, promis : j'ai uniquement augmenté l'espace négatif sous les branches; je n'ai pas redressé ou fait pencher l'arbre. Le fait que l'arbre penche est une pure illusion optique.)

Bref, l'affinité pour un sujet donné conditionne la composition. Il faut au préalable cerner, aimer et chouchouter son sujet...

[Laure-Anh]

Pour ceux qui sont allergiques à la créativité mise en boîte et expliquée sous forme de maths, en l'occurrence, sous forme de carrés et rectangles,
il y a une vidéo très intéressante à propos de Vincent Van Gogh : lui en a bavé,...et pas qu'un peu.
Que pense-t-il des carrés, des grilles ?  Je vous laisse découvrir...
https://www.youtube.com/watch?v=KfE6zZS25DU

NB : Accessoirement, il y a un complément sympa en langue anglaise : https://www.youtube.com/watch?v=Is-MvKg54e4

[daguet]

"Le fait que l'espace négatif soit minime entre branches et sommets peut passer pour un détail parfaitement insignifiant mais tel n'est pas le cas :
la proximité des deux éléments crée une illusion optique dérangeante, elle fait en effet croire et voir que l'arbre penche fortement à droite et en bas, comme aimanté par les montagnes.
Olivier Seydoux avait quant à lui été sensible et attentif à ce détail. Olivier a ménagé un espace négatif suffisant pour suggérer que l'arbre pousse et s'élève au dessus du sol."

 J'ai plutôt l'impression que la branche du bas n'étant pas encore cassée, Olivier a été obligé de cadrer plus haut sinon il y aurait eu superposition avec la montagne?

[Laure-Anh]

... J'ai plutôt l'impression que la branche du bas n'étant pas encore cassée,
Olivier a été obligé de cadrer plus haut sinon il y aurait eu superposition avec la montagne ?

C'est l'espace négatif sous la branche (existante) la plus basse qui est en cause et qui importe.
En l'occurrence, Olivier s'est révélé sensible et attentif à ce type de détail.

Il y a une vidéo (en anglais) qui mentionne que cela fait partie du job :
https://www.bhphotovideo.com/explora/videos/photography/better-photographic-composition-beyond-the-rule-of-thirds-0

[gjacobs]

Ce qui est rassurant, c'est que même les cador tâtonnent un peu!

Gauthier

[Laure-Anh]

A titre de comparaison, il est intéressant de découvrir le travail de quelqu'un qui a une affinité profonde pour l'arbre, et un intérêt secondaire pour le paysage :
c'est le cas de Beth Moon, sa passion pour les arbres est telle que, tout naturellement, année après année, arbre après arbre,
cet élément moteur a fait d'elle une observatrice exercée et une photographe conteuse d'arbres remarquable.

https://bethmoon.com/portraits-of-time/


Le temps est inscrit dans la forme d'un vieux chêne que les vents caressent et dont ils sculptent l'écorce, révélant ses tourments et sa beauté. Le temps est inscrit dans le tronc qui dans ses vieux jours se fissure sous la tempête. L'empreinte du temps est manifeste au vu de l'écorce sillonnée d'un arbre ancien, noueux, tordu et beau.

Portraits du Changement.

Portraits de la Lutte pour la vie.

Portraits du Temps.

Je cherche à saisir une image claire, de sorte que si un arbre est détruit par la tempête, la maladie, la cupidité ou le manque d'attention, je peux témoigner de la puissance et de la beauté de ceux qui n'ont pas été en mesure de résister. Je photographie les arbres vénérables parce que je sais que les mots seuls ne suffisent pas, et veux que leurs histoires se perpétuent. Je photographie ces arbres parce qu'ils ne seront peut-être pas là demain.

[Laure-Anh]

Chemin faisant et passion aidant, Beth Moon photographie également ses arbres de nuit :

https://bethmoon.com/diamond-nights/

"Le visible et l'invisible : quand ces deux réalités différentes s'associent et s'imbriquent, c'est splendide, c'est magique.
Cette série a été inspirée par deux études scientifiques fascinantes qui relient la croissance des arbres au mouvement céleste et aux cycles astraux."

[Laure-Anh]

La composition en photographie sera d'autant plus riche, plus efficace, plus créative si l'on prend en compte le principe d'enregistrement de l'image par un appareil-photo :
lequel appareil-photo voit et enregistre les scènes selon une perspective linéaire centrée. 

Concrètement, on n'a pas besoin de savoir dessiner,  l'appareil-photo le fait pour nous : c'est un avantage évident. Mais, il faut en être conscient, toute médaille a son revers.
En contrepartie, le photographe est en effet de facto soumis à une vision de monde placée sous le signe de la perspective linéaire et uniquement sous le signe de la perspective linéaire :
cela implique des contraintes spécifiques...contraintes qu'il faut bien connaître pour en tirer profit et/ou pour s'en libérer - moyennant des ruses diverses et variées adaptées.